(Article original sur le site de Scientas'Hic)
Malgré sa frénésie littéraire, Geoffrey Claustriaux est un homme de cinéma: critique, écriture et, peut-être un jour réalisation, les activités ne manquent pas. Le 7e art influence-t-il la littérature, ou est-ce l’inverse? Réponse ci-dessous!
Comme tu l’as dit plus tôt dans l’interview, plus que dans la littérature, c’est dans le cinéma que tu te voyais.
Oui, j’ai fait des études de graphisme avec une spécialisation effets spéciaux parce que je voulais travailler dans le cinéma. D’ailleurs mon rêve c’était de travailler chez Pixar parce que c’est quand j’ai vu le premier Toy Story que je me suis dit : « c’est ça que je veux faire ». Mais la vie a fait que j’ai commencé à travailler plus tôt que prévu, et voilà.
C’est vraiment le cinéma qui me passionne, faire des scénarios, imaginer des cadrages, ce genre de choses. J’adorerais réaliser un jour mon propre film, mais quand je vois tout le travail que c’est… C’est un truc de fou, on ne s’imagine pas. Hier, justement, j’ai été voir l’acteur de Chocolat [note : un court métrage adapté d’une de ses nouvelles, voir plus loin], Alain Bellot sur un tournage professionnel à Bruxelles et pff [il soupire], j’ai dit non, c’est chaud quoi ! Je préfère écrire le scénario, tranquille dans mon coin.
Avant de travailler sur des tournages, tu as commencé en tant que critique cinéma pour Horreur.net.
Tout à fait. Je passais beaucoup de temps sur ce site quand j’étais ado. A 20 ans, je me suis dit : « J’adore regarder des films, j’aime griffonner des nouvelles, autant essayer de concilier les deux ». J’ai fait une critique sur Petits meurtres entre amis, qui est un de mes films préférés, j’ai envoyé un mail et j’ai été pris. Ça fait plus de 10 ans, maintenant. Pendant très longtemps, j’ai écrit des critiques, mais depuis 2 ou 3 ans je n’ai simplement le temps. Je continue toutefois à alimenter la base de données en créant de nouvelles fiches. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai commencé à aller au BIFFF, en tant que critique pour Horreur.net.
Restons sur le BIFFF (Bruxelles International Fantastic Film Festival), tu y as été membre d’un jury. C’est un très gros festival, connu même en dehors de la Belgique. Comment t’es-tu retrouvé là ? Grâce à tes critiques ou à tes livres ?
Je pense que les deux aspects ont joué. Ils me connaissaient parce que je venais en tant que critique et mon nom commençait à circuler en tant qu’auteur. Lorsqu’ils me l’ont proposé et j’ai dit oui, évidemment. Je n’ai même pas réfléchi une demi-seconde. C’est un truc fou, parce que comme tu dis, c’est international. Le responsable presse m’a dit : « tu vois, Quentin Tarantino nous envoie tous les ans un mail pour qu’on lui envoie le programme avec tous les films, tous les jurys, enfin, le dossier de presse quoi ! » Et là je me dis : « Quoi ? Y a Tarantino qui a vu ma tête ?! » Il ne s’est sans doute pas attardé, mais il a peut-être vu mon nom, ma photo ; et c’est complètement dingue de se dire ça… Tarantino quoi ! C’est juste… c’est fou. Quand il m’a dit ça, je ne me tenais plus.
C’est là que j’ai réalisé que le BIFFF a vraiment une aura internationale et c’était une expérience, une consécration de faire partie du jury. Après ça, je pouvais mourir. Comment tu veux faire mieux après ? A moins d’y aller soi-même, d’avoir mon film dans la compétition internationale et de gagner ?
Justement, de quel jury étais-tu membre ?
Du jury 7e parallèle. Le Jury international, c’était Jaume Balaguero, Bai Ling, Marc Caro, etc. A côté, il y a plusieurs plus petits jurys, et moi j’étais dans le 7e parallèle avec des films décalés, un peu plus originaux.
Peux-t décrire ta manière de juger les films ?
Comme pour les jurys de livre, je marche au coup de cœur. J’aime ou je n’aime pas le film. Après j’essaye d’analyser pourquoi je n’ai pas aimé. Et c’est vrai que, pour ça, c’était très intéressant de discuter avec les autres membres du jury, parce qu’on était 4, et je ne vais pas dire qu’on avait 4 sensibilités différentes, mais certains choix étaient hyper étonnants. En discutant, tu comprends pourquoi eux ont aimé, par rapport à la mise en scène, ou la musique, ou que sais-je.
Forcément, il y a tout de même des critères objectifs. Une bonne réalisation, ça reste une bonne réalisation. Tu vois aussi si les acteurs sont bons ou pas. Mais je crois que le critère principal, c’est si t’as pris du plaisir. Si tu t’emmerdes devant un film, il peut être aussi bien réalisé que tu veux… J’ai vu The Revenant il y a quelques mois, c’est splendide, les acteurs sont géniaux mais pfff, personnellement, il y a une demi-heure de trop.
C’est vrai que tu vois Inarritu aimait bien se mettre en scène (voir notre critique)
Oui, ça faisait très démo technique à certains moments et inutilement. […] On digresse, mais The Revenant est beaucoup trop long pour ce qu’il a à raconter. Ce n’est jamais qu’une histoire de vengeance. Il n’y avait pas assez de matière pour un si long film. Tout ça pour dire qu’il y a des critères objectifs et que ce n’est pas parce que tu aimes bien un film que c’est le meilleur.
Et est-ce que tu regardes le film autrement, après cette expérience ?
Pas avec le BIFFF en tant que tel, mais à force de critiquer pour Horreur.net, oui. C’est même parfois un peu embêtant, parce que tu as juste envie de profiter du film et, parfois, tu vois des erreurs de réalisation, de scénario, et tu te dis : « c’est con, il aurait dû faire comme ça ». Le danger, c’est de ne plus arriver à se détacher de la critique. Heureusement, je n’en suis pas encore là.
Est-ce que ce n’est pas un peu délicat d’être à la fois auteur et critique ? Par exemple, critiquer [dans un sens général, pas péjoratif] des auteurs que tu connais ?
Pour moi, non, mais c’est vrai qu’on va peut-être mettre un peu plus les formes si on connaît l’auteur et qu’on n’a pas aimé son livre. Tu peux dire à quelqu’un « j’ai détesté ton film/ ton roman, parce que ceci, parce que cela ». Le tout c’est d’y mettre les formes. J’ai des amis auteurs, je n’aime pas ce qu’ils font, mais je comprends pourquoi ça marche. Si Le Héraut [note : une nouvelle que j’ai écrite, en attente de publication] n’est pas bien, je te le dirai, hein [rires] ! Et si c’est bien, je te le dirai aussi.
Tu es aussi scénariste, tu peux nous en parler ?
J’ai scénarisé Chocolat, adapté d’une de mes nouvelles. J’ai scénarisé d’autres choses, notamment un court métrage qui va être tourné incessamment sous peu, et qui s’appelle Heresis [note : le tournage est terminé depuis cette interview]. Au casting on a Olivier Duroy (de NRJ), Jill Vandermeulen (RTL-TVI et W9) et Vincent Santamaria.
J’ai aussi scénarisé un projet qui s’appelle GodZ, mais il se trouve que le réalisateur prend de l’ampleur de son côté en tant que réalisateur de clips musicaux. Du coup, ça traîne. Mais il a constitué son équipe pour réaliser un tout petit court métrage de quelques minutes pour voir si tout se passe, parce que je lui ai quand même écrit un truc bien ambitieux.
Sinon j’ai écrit deux autres scénarios, et si un jour quelqu’un veut les réaliser, on verra. Je pense que la casquette de réalisateur serait de trop pour moi. Quand je vois tout ce qu’il faut pour faire un film, même un court métrage, en termes de préparation, d’énergie et de temps… Réalisateur ce sera quand j’en aurai marre d’écrire des livres. Je me dirai : « ok, cette année je réalise mon truc », mais ce ne sera pas dans l’immédiat.
Tu as mis le pied dans le cinéma « pratique » en adaptant ta nouvelle Chocolat. Dans mes souvenirs, la nouvelle et le court métrage sont assez proches, est-ce que tu as dû beaucoup retravailler le récit ? Quelles sont les différences entre les deux médias?
Mine de rien, quand tu regardes le court métrage et que tu lis la nouvelle, il y a pas mal de différences, mais c’est logique : un truc qui passe bien en livre ne passe pas forcément bien à l’écran, tout simplement. J’ai dû retravailler le début, parce qu’il fallait intégrer des éléments supplémentaires dès l’ouverture pour que ce soit compréhensible.
[ATTENTION SPOILERS] Au début de la nouvelle, la femme n’est pas enceinte alors qu’elle l’est au début du court métrage, on ouvre même sur ça. Dans le livre, je pouvais simplement expliquer qu’ils étaient trois ans plus tard et qu’une petite est née. Au cinéma ça marche moins bien si on dit « trois ans plus tard ». A côté de ça, il y a les contraintes techniques, parce dans la nouvelle, le mari faisait tomber un CD [ndr : dans l’habitacle de la voiture, avant l’accident]. On a changé pour des raisons de facilité. [FIN DU SPOILER]
Et, pour la fin, le réalisateur a juste eu une idée qui, visuellement, était bien mieux pour le court métrage. Les dialogues, aussi, j’ai dû les retravailler en fonction de la diction des acteurs. D’ailleurs, je leur disais : « si vous préférez dire le texte différemment, tant que les éléments sont là, pas de soucis » Et puis, c’est vrai qu’en termes de rythme aussi… enfin, c’est vraiment différent. Mais j’ai de la chance, on me dit souvent que j’ai une écriture cinématographique.
Comment procèdes-tu concrètement pour adapter ?
J’enlève toutes les fioritures, je garde l’essentiel sans l’enrobage littéraire. Je commence par épurer, puis je regarde au rythme et à l’enchaînement des séquences. Je mets aussi des propositions (de cadrage,…) et de petites indications techniques que le réalisateur est libre de suivre ou pas.
Tout à l’heure, tu as parlé de la BD, c’est encore un autre style !
En fait je suis en train de développer deux projets de BD. Là je ne vais pas trop m’étendre, parce qu’on n’en est qu’au tout début. Mais c’est très intéressant.
Quelles sont pour toi les différences entre ces médias ? Est-ce que ça t’apporte autre chose, dans la réalisation, l’écriture,… ?
Ça n’influence pas encore l’écriture de roman. Pas consciemment en tout cas. Mais c’est vrai que la BD, c’est assez difficile, je trouve. Pour le moment, j’écris un peu comme pour un scénario de film, mais après il faudra faire le découpage en cases et ça c’est vrai que ça m’angoisse un peu. Au début, je me disais : « les storyboards, j’ai l’habitude » mais ce n’est pas du tout pareil.
Pour le moment je suis en phase de scénario dans les deux projets. J’ai déjà discuté avec les deux dessinateurs. Il faut encore que j’affine, que j’acquière de l’expérience dans ce domaine, mais on va dire que les projets sont en bonne voie. Je pense que les deux vont se faire – touchons du bois !
Il ne te manque que le théâtre et les jeux vidéos, et t’auras fait le tour ! Ah oui, et la chanson !
[Rires] Oui, la chanson j’aimerais bien, j’ai toujours été fan des parodies, donc j’ai un petit projet de chanter des parodies que j’écrirais moi-même, mais ça c’est vraiment pour le fun. Je pensais appeler ça « Claus Copie », « Claus pour le début de mon nom » et « copie » pour faire le jeu de mot avec coloscopie. Comme ce seraient des parodies, tu vois, « Claus copie ». [Rires]
[Avis aux lecteurs : malgré notre insistance, Geoffrey n’a pas donné suite à notre proposition d’enregistrer une chanson pour l’interview!]
Pour terminer, je me demandais si tu avais un sablier magique comme Hermione Granger (Harry Potter) pour pouvoir remonter le temps et faire tout ce que fait.
[Rires] Non, mais j’ai une copine très compréhensive, ça c’est bien. C’est vrai que beaucoup de monde me pose la question. Simplement, je prends le temps d’écrire. Et j’ai la chance de prendre le train tous les jours, donc j’ai deux heures par jour.
Propos recueillis oralement le 24/03/17, mis à jour par mail début mai.
Fin de la cinquième partie.
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