(Article original sur le site de Scientas'Hic)
Pour achever cette longue interview de Geoffrey Claustriaux, on a décidé de faire fort: est-il possible de passer de Mons (Belgique) à Stephen King, maître incontesté de l’horreur? Oui, et on vous le prouve!
Pour terminer ce large tour d’horizon littéraire, je voudrais parler de ton recueil Années nouvelles, dont toutes les histoires prennent place à Mons. Est-ce que tu pourrais d’abord expliquer le projet ?
Le projet est né fin 2014. Une commerçante, Jacqueline Maggio, me contacte parce qu’elle veut ouvrir un magasin à Mons, Créa’City, rue de Nimy. Elle me dit : « je cherche à promouvoir les artisans et auteurs locaux. Est-ce que vous voulez que je mette vos livres en rayon ? » Evidemment ! Au cours du dîner, je lui propose d’écrire une nouvelle spécifiquement pour le magasin, pour faire une petite exclusivité. Le projet était né. En plus, il se trouve que ça allait justement être Mons 2015 [Note : en 2015, Mons a été capitale européenne de la culture]. En discutant avec Emilie Ansciaux [la co-auteure du recueil] et Jacqueline, nous avons développé l’idée pour aboutir à la publication d’une nouvelle par mois, pour Mons 2015. Toutes les histoires se dérouleraient à Mons et ça jouerait sur le côté culturel. Et c’est ce qu’on a fait.
Elles étaient publiées sous formes de petits fascicules je crois ?
C’est ça, elles étaient publiées séparément, mais avec le même principe de couverture, à savoir le petit singe de Mons (statue emblématique de la ville) auquel s’ajoutait un élément spécifique à l’histoire.
Ça a bien fonctionné, les gens ont apprécié le côté local. Quand Mons 2015 a été terminé, on s’est dit : « pourquoi ne pas en faire un recueil? » On a rassemblé les 12 nouvelles et on a écrit une nouvelle supplémentaire, en bonus, comme on le ferait pour une édition spéciale d’un DVD.
Toutes les histoires prennent place à Mons. Est-ce qu’elles ont été écrites spécifiquement pour cette occasion, ou tu en as réutilisé/ réadapté une partie ?
Sur les 7 à moi dans le recueil, il y en a 5 que j’avais déjà écrites auparavant et 2 que j’ai spécifiquement écrites pour l’occasion, notamment Origines, qui parle des origines du petit singe de Mons. Celle-là a été vraiment purement écrite pour Mons, de même que Nature Morte. Pour les autres, j’ai repris la trame globale des histoires déjà écrites et je les ai adaptées au cadre montois. Je l’ai fait principalement par manque de temps. J’avais plusieurs romans sur le feu. J’ai donc fait des fouilles parmi mes nouvelles afin d’en extraire les meilleures, et bien m’en a pris, parce qu’elles ont beaucoup plu, et ça m’a permis de faire adapter Chocolat.
Pour la réécriture, tu as fait des recherches spécifiques sur Mons ? Rappelons que tu es originaire de La Louvière, c’est la porte à côté (20km).
J’ai fait mes études à Saint-Ghislain, qui n’est pas loin de Mons, et Mons est une ville que j’aime beaucoup et que je connais bien. Après, j’ai fait des recherches pour des choses plus spécifiques. Par exemple, pour Origines, je me suis renseigné sur ce qu’on savait du petit singe. Ensuite, j’ai fait pas mal de recherches au niveau géographique et je me suis rendu sur place pour voir si les rues choisies pouvaient convenir. A partir du moment où on inscrit des histoires dans le réel on est obligé de faire des recherches.
De manière générale, es-tu influencé par des éléments du folklore ou de la tradition locale, par ce qui se passe dans ta région ?
J’aime bien rattacher l’histoire à ce que les gens connaissent, quand c’est possible de le faire. Tu parlais tout à l’heure des références dans Les Chroniques de l’Après-Monde. Stephen King procède de la même façon : il nomme beaucoup de marques et de choses que les gens connaissent, ça inscrit plus profondément le récit dans le réel. Et même dans un récit comme Les Chroniques…, le fait que Casca regarde The Shining, lise des livres que le lecteur connaît, ça lui permet de rentrer dans l’histoire.
Stephen King est un auteur populaire au sens positif. Je trouve qu’il s’attache beaucoup aux choses du quotidien, ce qui rend ses personnages crédibles.
Pour moi, c’est même sa principale qualité. La réalisateur David Fincher expliquait dans un making of de Zodiac que la rupture venait de l’irruption de l’horreur dans le quotidien des personnages. Et c’est ce que Stephen King fait extrêmement bien. Il va te faire trois pages sur le gars qui cuit son pain et, tout à coup, il se fait attaquer par un monstre ! Le début de Cell, c’est un dessinateur qui, pendant un chapitre, va chez un éditeur, présente ses planches, puis il y a une invasion de zombies et ça lui tombe dessus autant que sur le lecteur.
En parlant de Stephen King justement, en lisant certains textes du recueil (notamment Correspondances, dans lequel un personnage est recouvert d’yeux), j’ai tout de suite fait le rapprochement avec une de ses nouvelles.
[ATTENTION SPOILERS] Je vois de laquelle tu veux parler. Correspondances, avec les yeux qui poussent dans le corps du héros. Je ne sais plus le nom de la nouvelle qui m’a inspirée [note : Comme une passerelle, publiée dans le recueil Danse macabre], mais elle m’avait traumatisé. Je l’ai lue quand j’avais 15 ans. Ça allait même plus loin dans la nouvelle de Stephen King, parce que les yeux prenaient le contrôle du personnage. Pour ma nouvelle, j’avais cette image-là en tête. Je me suis dit « merde, elle correspond tellement à ce que je veux faire que je vais l’utiliser. » C’est clairement un hommage. Je crois que je cite d’ailleurs cette anecdote dans mes notes d’auteur. [FIN SPOILERS]
C’est Stephen King qui a fait mon éducation littéraire. Un des premiers romans que j’ai lus, c’est Ça, puis Le Fléau. Dans mon nouveau roman d’horreur [Nature’s Law, mentionné plus haut dans les projets futurs], il y a plein de lignes narratives différentes, c’est un truc mondial. En ce moment, je décortique donc Le Fléau, pour voir comment le livre est articulé, etc. Il n’y a pas de secrets, il faut étudier les meilleurs si on veut progresser.
Dans son livre Ecriture, King explique qu’il faut lire les bons auteurs, mais aussi les mauvais, pour se rassurer.
[Rires] C’est pas faux. Quand tu lis quelque chose de quelqu’un qui se présente comme un auteur, et que tu vois que ce qu’il fait n’est pas très bon, tu te dis : « finalement, je ne suis pas si mauvais ! » Il faut avoir beaucoup d’humilité quand tu es auteur ou réalisateur. Il faut toujours te dire qu’il y a meilleur que toi. En tout cas, moi je fonctionne comme ça. Je me dis : « je ne suis rien, regardons comment font les meilleurs. »
C’est ce que j’ai fait pour Les Chroniques…, j’ai lu beaucoup de Lovecraft à ce moment-là, je me suis immergé dans son univers et sa manière d’écrire. Et c’est ce que je suis en train de faire avec Stephen King pour Nature’s Law. On ne va pas réinventer la roue. Ça a déjà été fait, et très bien fait. Autant se nourrir de ça, plutôt que d’arriver et de dire : « Moi, je vais faire le roman ultime ». Non, tu vas faire de la merde, si tu fais ça. Il vaut mieux arriver tout doucement, te nourrir des bons auteurs, assaisonner le tout à ta façon et espérer pondre un truc pas trop mauvais. En tout cas, c’est ma vision des choses.
Est-ce que tu connais d’autres auteurs SFFF belges ?
Je connais des bons auteurs oui, d’abord il y a Emilie Ansciaux et qui, je trouve, écrit très bien. J’aime beaucoup ce qu’elle fait. Il y a aussi Frederic Livyns qui fait des trucs pas mal, très horreur. Après, je pourrais encore en citer plein, Damien Snyers, Berengère Rousseau, Laure-Anne Braun, Manon Elisabeth D’Ombremont,… Le monde littéraire belge est plus vaste qu’on le croit.
Quel est ton premier souvenir de SFFF ?
J’en ai deux principalement, en littérature, c’est Ça, de Stephen King, qui m’a amené vers l’horreur et qui m’a donné le goût de lire ; et en cinéma, Le Cauchemar de Freddy. C’est le premier film d’horreur que j’ai vu. Inutile de dire que j’ai adoré.
D’après toi, quels sont les auteurs et livres de SFFF que tout lecteur devrait avoir lu ?
King, Lovecraft, c’est la base. Mais j’aime aussi beaucoup ce que fait Dan Simmons (Hypérion). Je l’ai découvert avec L’échiquier du mal, qui n’était pas mal du tout. En deux mots, ça part du principe qu’il y a des gens qui peuvent imposer leur volonté aux autres par un genre de télépathie et cette caste contrôle le monde dans l’ombre. C’était vachement bien parce qu’il faisait le lien avec de grands évènements historiques.
J’aime aussi beaucoup aussi Frank Herbert et Robert Heinlein. Il a écrit Etoiles, garde-à-vous ! qui a donné le film Starship Troopers. Je trouve que c’est intéressant, en tout cas ce roman-là, parce qu’il a une vision assez fascisante mais qui a été tournée en dérision dans le film. Je ne dis pas que je suis d’accord avec ça, du tout, mais c’est intéressant à voir, cette vision.
Et Philip K. Dick, qui est un monstre aussi. En termes d’imagination, c’est fou. Tu lis Le Maitre du haut Château et tu te dis « woaaaaw ». En policier, Mo Hayder est ma référence, j’adore son style.
Quel est ton rêve en tant qu’écrivain ?
Je vais pas être très original je pense, c’est un film adapté d’un de mes romans. Quelque part, j’ai déjà été comblé avec Chocolat mais je me dis qu’un film vraiment distribué… Allez, un blockbuster adapté d’un de mes romans, c’est vraiment le rêve de tout écrivain je pense.
Un film dont tu aurais écrit le script ?
[Rires] Ah, je ne sais pas, peut-être ! Déjà avoir un blockbuster, même si c’est quelqu’un d’autre qui a adapté l’histoire, avoir mon nom à l’écran, « adapté d’un roman de… ». Woaw. Oui, je crois que c’est le rêve ultime, tu ne peux pas aller plus haut en tant qu’écrivain. Ou réaliser toi-même ? Non, ça fait très mégalo, très égocentrique. Si je dois réaliser, je préfère adapter quelque chose de quelqu’un d’autre, pour ne pas faire « consanguin » avec mon propre truc. Voilà, un blockbuster adapté d’un de mes romans. Par Peter Jackson, soyons fous [rires].
Propos recueillis oralement le 24/03/17, mis à jour par mail début mai.
Fin de la sixième et dernière partie.
Merci à Geoffrey pour son temps et ses réponses!