vendredi 26 mai 2017

 [Interview par Scientas'Hic - Partie 6] Geoffrey Claustriaux: de l’écriture locale au Roi de l’horreur

(Article original sur le site de Scientas'Hic)

Pour achever cette longue interview de Geoffrey Claustriaux, on a décidé de faire fort: est-il possible de passer de Mons (Belgique) à Stephen King, maître incontesté de l’horreur? Oui, et on vous le prouve!
Pour terminer ce large tour d’horizon littéraire, je voudrais parler de ton recueil Années nouvelles, dont toutes les histoires prennent place à Mons. Est-ce que tu pourrais d’abord expliquer le projet ?
Le projet est né fin 2014. Une commerçante, Jacqueline Maggio, me contacte parce qu’elle veut ouvrir un magasin à Mons, Créa’City, rue de Nimy. Elle me dit : « je cherche à promouvoir les artisans et auteurs locaux. Est-ce que vous voulez que je mette vos livres en rayon ? » Evidemment ! Au cours du dîner, je lui propose d’écrire une nouvelle spécifiquement pour le magasin, pour faire une petite exclusivité. Le projet était né. En plus, il se trouve que ça allait justement être Mons 2015 [Note : en 2015, Mons a été capitale européenne de la culture]. En discutant avec Emilie Ansciaux [la co-auteure du recueil] et Jacqueline, nous avons développé l’idée pour aboutir à la publication d’une nouvelle par mois, pour Mons 2015. Toutes les histoires se dérouleraient à Mons et ça jouerait sur le côté culturel. Et c’est ce qu’on a fait.
Elles étaient publiées sous formes de petits fascicules je crois ? 
C’est ça, elles étaient publiées séparément, mais avec le même principe de couverture, à savoir le petit singe de Mons (statue emblématique de la ville) auquel s’ajoutait un élément spécifique à l’histoire.
Ça a bien fonctionné, les gens ont apprécié le côté local. Quand Mons 2015 a été terminé, on s’est dit : « pourquoi ne pas en faire un recueil? » On a rassemblé les 12 nouvelles et on a écrit une nouvelle supplémentaire, en bonus, comme on le ferait pour une édition spéciale d’un DVD.
Toutes les histoires prennent place à Mons. Est-ce qu’elles ont été écrites spécifiquement pour cette occasion, ou tu en as réutilisé/ réadapté une partie ?
Sur les 7 à moi dans le recueil, il y en a 5 que j’avais déjà écrites auparavant et 2 que j’ai spécifiquement écrites pour l’occasion, notamment Origines, qui parle des origines du petit singe de Mons. Celle-là a été vraiment purement écrite pour Mons, de même que Nature Morte. Pour les autres, j’ai repris la trame globale des histoires déjà écrites et je les ai adaptées au cadre montois. Je l’ai fait principalement par manque de temps. J’avais plusieurs romans sur le feu. J’ai donc fait des fouilles parmi mes nouvelles afin d’en extraire les meilleures, et bien m’en a pris, parce qu’elles ont beaucoup plu, et ça m’a permis de faire adapter Chocolat. 
Pour la réécriture, tu as fait des recherches spécifiques sur Mons ? Rappelons que tu es originaire de La Louvière, c’est la porte à côté (20km).
J’ai fait mes études à Saint-Ghislain, qui n’est pas loin de Mons, et Mons est une ville que j’aime beaucoup et que je connais bien. Après, j’ai fait des recherches pour des choses plus spécifiques. Par exemple, pour Origines, je me suis renseigné sur ce qu’on savait du petit singe. Ensuite, j’ai fait pas mal de recherches au niveau géographique et je me suis rendu sur place pour voir si les rues choisies pouvaient convenir. A partir du moment où on inscrit des histoires dans le réel on est obligé de faire des recherches.
De manière générale, es-tu influencé par des éléments du folklore ou de la tradition locale, par ce qui se passe dans ta région ? 
J’aime bien rattacher l’histoire à ce que les gens connaissent, quand c’est possible de le faire. Tu parlais tout à l’heure des références dans Les Chroniques de l’Après-Monde. Stephen King procède de la même façon : il nomme beaucoup de marques et de choses que les gens connaissent, ça inscrit plus profondément le récit dans le réel. Et même dans un récit comme Les Chroniques…, le fait que Casca regarde The Shining, lise des livres que le lecteur connaît, ça lui permet de rentrer dans l’histoire.
Stephen King est un auteur populaire au sens positif. Je trouve qu’il s’attache beaucoup aux choses du quotidien, ce qui rend ses personnages crédibles.
Pour moi, c’est même sa principale qualité. La réalisateur David Fincher expliquait dans un making of de Zodiac que la rupture venait de l’irruption de l’horreur dans le quotidien des personnages. Et c’est ce que Stephen King fait extrêmement bien. Il va te faire trois pages sur le gars qui cuit son pain et, tout à coup, il se fait attaquer par un monstre ! Le début de Cell, c’est un dessinateur qui, pendant un chapitre, va chez un éditeur, présente ses planches, puis il y a une invasion de zombies et ça lui tombe dessus autant que sur le lecteur.
En parlant de Stephen King justement, en lisant certains textes du recueil (notamment Correspondances, dans lequel un personnage est recouvert d’yeux), j’ai tout de suite fait le rapprochement avec une de ses nouvelles.
[ATTENTION SPOILERS] Je vois de laquelle tu veux parler. Correspondances, avec les yeux qui poussent dans le corps du héros. Je ne sais plus le nom de la nouvelle qui m’a inspirée [note : Comme une passerelle, publiée dans le recueil Danse macabre], mais elle m’avait traumatisé. Je l’ai lue quand j’avais 15 ans. Ça allait même plus loin dans la nouvelle de Stephen King, parce que les yeux prenaient le contrôle du personnage. Pour ma nouvelle, j’avais cette image-là en tête. Je me suis dit « merde, elle correspond tellement à ce que je veux faire que je vais l’utiliser. » C’est clairement un hommage. Je crois que je cite d’ailleurs cette anecdote dans mes notes d’auteur. [FIN SPOILERS]
C’est Stephen King qui a fait mon éducation littéraire. Un des premiers romans que j’ai lus, c’est Ça, puis Le Fléau. Dans mon nouveau roman d’horreur [Nature’s Law, mentionné plus haut dans les projets futurs], il y a plein de lignes narratives différentes, c’est un truc mondial. En ce moment, je décortique donc Le Fléau, pour voir comment le livre est articulé, etc. Il n’y a pas de secrets, il faut étudier les meilleurs si on veut progresser.
Dans son livre Ecriture, King explique qu’il faut lire les bons auteurs, mais aussi les mauvais, pour se rassurer.  
[Rires] C’est pas faux. Quand tu lis quelque chose de quelqu’un qui se présente comme un auteur, et que tu vois que ce qu’il fait n’est pas très bon, tu te dis : « finalement, je ne suis pas si mauvais ! » Il faut avoir beaucoup d’humilité quand tu es auteur ou réalisateur. Il faut toujours te dire qu’il y a meilleur que toi. En tout cas, moi je fonctionne comme ça. Je me dis : « je ne suis rien, regardons comment font les meilleurs. »
C’est ce que j’ai fait pour Les Chroniques…, j’ai lu beaucoup de Lovecraft à ce moment-là, je me suis immergé dans son univers et sa manière d’écrire. Et c’est ce que je suis en train de faire avec Stephen King pour Nature’s Law. On ne va pas réinventer la roue. Ça a déjà été fait, et très bien fait. Autant se nourrir de ça, plutôt que d’arriver et de dire : « Moi, je vais faire le roman ultime ». Non, tu vas faire de la merde, si tu fais ça. Il vaut mieux arriver tout doucement, te nourrir des bons auteurs, assaisonner le tout à ta façon et espérer pondre un truc pas trop mauvais. En tout cas, c’est ma vision des choses.
Est-ce que tu connais d’autres auteurs SFFF belges ?
Je connais des bons auteurs oui, d’abord il y a Emilie Ansciaux et qui, je trouve, écrit très bien. J’aime beaucoup ce qu’elle fait. Il y a aussi Frederic Livyns qui fait des trucs pas mal, très horreur. Après, je pourrais encore en citer plein, Damien Snyers, Berengère Rousseau, Laure-Anne Braun, Manon Elisabeth D’Ombremont,… Le monde littéraire belge est plus vaste qu’on le croit.
Quel est ton premier souvenir de SFFF ?
J’en ai deux principalement, en littérature, c’est Ça, de Stephen King, qui m’a amené vers l’horreur et qui m’a donné le goût de lire ; et en cinéma, Le Cauchemar de Freddy. C’est le premier film d’horreur que j’ai vu. Inutile de dire que j’ai adoré.
D’après toi, quels sont les auteurs et livres de SFFF que tout lecteur devrait avoir lu ? 
King, Lovecraft, c’est la base. Mais j’aime aussi beaucoup ce que fait Dan Simmons (Hypérion). Je l’ai découvert avec L’échiquier du mal, qui n’était pas mal du tout. En deux mots, ça part du principe qu’il y a des gens qui peuvent imposer leur volonté aux autres par un genre de télépathie et cette caste contrôle le monde dans l’ombre. C’était vachement bien parce qu’il faisait le lien avec de grands évènements historiques.
J’aime aussi beaucoup aussi Frank Herbert et Robert Heinlein. Il a écrit Etoiles, garde-à-vous ! qui a donné le film Starship Troopers. Je trouve que c’est intéressant, en tout cas ce roman-là, parce qu’il a une vision assez fascisante mais qui a été tournée en dérision dans le film. Je ne dis pas que je suis d’accord avec ça, du tout, mais c’est intéressant à voir, cette vision.
Et Philip K. Dick, qui est un monstre aussi. En termes d’imagination, c’est fou. Tu lis Le Maitre du haut Château et tu te dis « woaaaaw ». En policier, Mo Hayder est ma référence, j’adore son style.
Quel est ton rêve en tant qu’écrivain ?

Geoffrey Claustriaux
Je vais pas être très original je pense, c’est un film adapté d’un de mes romans. Quelque part, j’ai déjà été comblé avec Chocolat mais je me dis qu’un film vraiment distribué… Allez, un blockbuster adapté d’un de mes romans, c’est vraiment le rêve de tout écrivain je pense.
Un film dont tu aurais écrit le script ?
[Rires] Ah, je ne sais pas, peut-être ! Déjà avoir un blockbuster, même si c’est quelqu’un d’autre qui a adapté l’histoire, avoir mon nom à l’écran, « adapté d’un roman de… ». Woaw. Oui, je crois que c’est le rêve ultime, tu ne peux pas aller plus haut en tant qu’écrivain. Ou réaliser toi-même ? Non, ça fait très mégalo, très égocentrique. Si je dois réaliser, je préfère adapter quelque chose de quelqu’un d’autre, pour ne pas faire « consanguin » avec mon propre truc. Voilà, un blockbuster adapté d’un de mes romans. Par Peter Jackson, soyons fous [rires].
Propos recueillis oralement le 24/03/17, mis à jour par mail début mai.
Fin de la sixième et dernière partie.
Merci à Geoffrey pour son temps et ses réponses!



lundi 22 mai 2017

 [Interview par Scientas'Hic - Partie 5] Geoffrey Claustriaux: Vers le cinéma et au-delà !

(Article original sur le site de Scientas'Hic)



Malgré sa frénésie littéraire, Geoffrey Claustriaux est un homme de cinéma: critique, écriture et, peut-être un jour réalisation, les activités ne manquent pas. Le 7e art influence-t-il la littérature, ou est-ce l’inverse? Réponse ci-dessous!
Comme tu l’as dit plus tôt dans l’interview, plus que dans la littérature, c’est dans le cinéma que tu te voyais.
Sur le tournage de « Chocolat », court métrage adapté de sa nouvelle éponyme
Oui, j’ai fait des études de graphisme avec une spécialisation effets spéciaux parce que je voulais travailler dans le cinéma. D’ailleurs mon rêve c’était de travailler chez Pixar parce que c’est quand j’ai vu le premier Toy Story que je me suis dit : « c’est ça que je veux faire ». Mais la vie a fait que j’ai commencé à travailler plus tôt que prévu, et voilà.
C’est vraiment le cinéma qui me passionne, faire des scénarios, imaginer des cadrages, ce genre de choses. J’adorerais réaliser un jour mon propre film, mais quand je vois tout le travail que c’est… C’est un truc de fou, on ne s’imagine pas. Hier, justement, j’ai été voir l’acteur de Chocolat [note : un court métrage adapté d’une de ses nouvelles, voir plus loin], Alain Bellot sur un tournage professionnel à Bruxelles et pff [il soupire], j’ai dit non, c’est chaud quoi ! Je préfère écrire le scénario, tranquille dans mon coin.
Avant de travailler sur des tournages, tu as commencé en tant que critique cinéma pour Horreur.net. 
Tout à fait. Je passais beaucoup de temps sur ce site quand j’étais ado. A 20 ans, je me suis dit : « J’adore regarder des films, j’aime griffonner des nouvelles, autant essayer de concilier les deux ». J’ai fait une critique sur Petits meurtres entre amis, qui est un de mes films préférés, j’ai envoyé un mail et j’ai été pris. Ça fait plus de 10 ans, maintenant. Pendant très longtemps, j’ai écrit des critiques, mais depuis 2 ou 3 ans je n’ai simplement le temps. Je continue toutefois à alimenter la base de données en créant de nouvelles fiches. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai commencé à aller au BIFFF, en tant que critique pour Horreur.net.
Restons sur le BIFFF (Bruxelles International Fantastic Film Festival), tu y as été membre d’un jury. C’est un très gros festival, connu même en dehors de la Belgique. Comment t’es-tu retrouvé là ? Grâce à tes critiques ou à tes livres ?
Je pense que les deux aspects ont joué. Ils me connaissaient parce que je venais en tant que critique et mon nom commençait à circuler en tant qu’auteur. Lorsqu’ils me l’ont proposé et j’ai dit oui, évidemment. Je n’ai même pas réfléchi une demi-seconde. C’est un truc fou, parce que comme tu dis, c’est international. Le responsable presse m’a dit : « tu vois, Quentin Tarantino nous envoie tous les ans un mail pour qu’on lui envoie le programme avec tous les films, tous les jurys, enfin, le dossier de presse quoi ! » Et là je me dis : « Quoi ? Y a Tarantino qui a vu ma tête ?! » Il ne s’est sans doute pas attardé, mais il a peut-être vu mon nom, ma photo ; et c’est complètement dingue de se dire ça… Tarantino quoi ! C’est juste… c’est fou. Quand il m’a dit ça, je ne me tenais plus.
C’est là que j’ai réalisé que le BIFFF a vraiment une aura internationale et c’était une expérience, une consécration de faire partie du jury. Après ça, je pouvais mourir. Comment tu veux faire mieux après ? A moins d’y aller soi-même, d’avoir mon film dans la compétition internationale et de gagner ?
Justement, de quel jury étais-tu membre ? 
Du jury 7e parallèle. Le Jury international, c’était Jaume Balaguero, Bai Ling, Marc Caro, etc. A côté, il y a plusieurs plus petits jurys, et moi j’étais dans le 7e parallèle avec des films décalés, un peu plus originaux.
Peux-t décrire ta manière de juger les films ?
Comme pour les jurys de livre, je marche au coup de cœur. J’aime ou je n’aime pas le film. Après j’essaye d’analyser pourquoi je n’ai pas aimé. Et c’est vrai que, pour ça, c’était très intéressant de discuter avec les autres membres du jury, parce qu’on était 4, et je ne vais pas dire qu’on avait 4 sensibilités différentes, mais certains choix étaient hyper étonnants. En discutant, tu comprends pourquoi eux ont aimé, par rapport à la mise en scène, ou la musique, ou que sais-je.
Forcément, il y a tout de même des critères objectifs. Une bonne réalisation, ça reste une bonne réalisation. Tu vois aussi si les acteurs sont bons ou pas. Mais je crois que le critère principal, c’est si t’as pris du plaisir. Si tu t’emmerdes devant un film, il peut être aussi bien réalisé que tu veux… J’ai vu The Revenant il y a quelques mois, c’est splendide, les acteurs sont géniaux mais pfff, personnellement, il y a une demi-heure de trop.
C’est vrai que tu vois Inarritu aimait bien se mettre en scène (voir notre critique)
Oui, ça faisait très démo technique à certains moments et inutilement. […] On digresse, mais The Revenant est beaucoup trop long pour ce qu’il a à raconter. Ce n’est jamais qu’une histoire de vengeance. Il n’y avait pas assez de matière pour un si long film. Tout ça pour dire qu’il y a des critères objectifs et que ce n’est pas parce que tu aimes bien un film que c’est le meilleur.
Et est-ce que tu regardes le film autrement, après cette expérience ?
Pas avec le BIFFF en tant que tel, mais à force de critiquer pour Horreur.net, oui. C’est même parfois un peu embêtant, parce que tu as juste envie de profiter du film et, parfois, tu vois des erreurs de réalisation, de scénario, et tu te dis : « c’est con, il aurait dû faire comme ça ». Le danger, c’est de ne plus arriver à se détacher de la critique. Heureusement, je n’en suis pas encore là.
Est-ce que ce n’est pas un peu délicat d’être à la fois auteur et critique ? Par exemple, critiquer [dans un sens général, pas péjoratif] des auteurs que tu connais ?
Pour moi, non, mais c’est vrai qu’on va peut-être mettre un peu plus les formes si on connaît l’auteur et qu’on n’a pas aimé son livre. Tu peux dire à quelqu’un « j’ai détesté ton film/ ton roman, parce que ceci, parce que cela ». Le tout c’est d’y mettre les formes. J’ai des amis auteurs, je n’aime pas ce qu’ils font, mais je comprends pourquoi ça marche. Si Le Héraut [note : une nouvelle que j’ai écrite, en attente de publication] n’est pas bien, je te le dirai, hein [rires] ! Et si c’est bien, je te le dirai aussi.
Tu es aussi scénariste, tu peux nous en parler ?
J’ai scénarisé Chocolat, adapté d’une de mes nouvelles. J’ai scénarisé d’autres choses, notamment un court métrage qui va être tourné incessamment sous peu, et qui s’appelle Heresis [note : le tournage est terminé depuis cette interview]. Au casting on a Olivier Duroy (de NRJ), Jill Vandermeulen (RTL-TVI et W9) et Vincent Santamaria.
J’ai aussi scénarisé un projet qui s’appelle GodZ, mais il se trouve que le réalisateur prend de l’ampleur de son côté en tant que réalisateur de clips musicaux. Du coup, ça traîne. Mais il a constitué son équipe pour réaliser un tout petit court métrage de quelques minutes pour voir si tout se passe, parce que je lui ai quand même écrit un truc bien ambitieux.
Sinon j’ai écrit deux autres scénarios, et si un jour quelqu’un veut les réaliser, on verra. Je pense que la casquette de réalisateur serait de trop pour moi. Quand je vois tout ce qu’il faut pour faire un film, même un court métrage, en termes de préparation, d’énergie et de temps… Réalisateur ce sera quand j’en aurai marre d’écrire des livres. Je me dirai : « ok, cette année je réalise mon truc », mais ce ne sera pas dans l’immédiat.
Tu as mis le pied dans le cinéma « pratique » en adaptant ta nouvelle Chocolat. Dans mes souvenirs, la nouvelle et le court métrage sont assez proches, est-ce que tu as dû beaucoup retravailler le récit ? Quelles sont les différences entre les deux médias?
Geoffrey Claustriaux, sur le tournage du court métrage « Heresis » Crédit photo: Cineca production.
Mine de rien, quand tu regardes le court métrage et que tu lis la nouvelle, il y a pas mal de différences, mais c’est logique : un truc qui passe bien en livre ne passe pas forcément bien à l’écran, tout simplement. J’ai dû retravailler le début, parce qu’il fallait intégrer des éléments supplémentaires dès l’ouverture pour que ce soit compréhensible.
[ATTENTION SPOILERS] Au début de la nouvelle, la femme n’est pas enceinte alors qu’elle l’est au début du court métrage, on ouvre même sur ça. Dans le livre, je pouvais simplement expliquer qu’ils étaient trois ans plus tard et qu’une petite est née. Au cinéma ça marche moins bien si on dit « trois ans plus tard ». A côté de ça, il y a les contraintes techniques, parce dans la nouvelle, le mari faisait tomber un CD [ndr : dans l’habitacle de la voiture, avant l’accident]. On a changé pour des raisons de facilité. [FIN DU SPOILER]
Et, pour la fin, le réalisateur a juste eu une idée qui, visuellement, était bien mieux pour le court métrage. Les dialogues, aussi, j’ai dû les retravailler en fonction de la diction des acteurs. D’ailleurs, je leur disais : « si vous préférez dire le texte différemment, tant que les éléments sont là, pas de soucis » Et puis, c’est vrai qu’en termes de rythme aussi… enfin, c’est vraiment différent. Mais j’ai de la chance, on me dit souvent que j’ai une écriture cinématographique.
Comment procèdes-tu concrètement pour adapter ? 
J’enlève toutes les fioritures, je garde l’essentiel sans l’enrobage littéraire. Je commence par épurer, puis je regarde au rythme et à l’enchaînement des séquences. Je mets aussi des propositions (de cadrage,…) et de petites indications techniques que le réalisateur est libre de suivre ou pas.
Tout à l’heure, tu as parlé de la BD, c’est encore un autre style !
En fait je suis en train de développer deux projets de BD. Là je ne vais pas trop m’étendre, parce qu’on n’en est qu’au tout début. Mais c’est très intéressant.
Quelles sont pour toi les différences entre ces médias ? Est-ce que ça t’apporte autre chose, dans la réalisation, l’écriture,… ?
Ça n’influence pas encore l’écriture de roman. Pas consciemment en tout cas. Mais c’est vrai que la BD, c’est assez difficile, je trouve. Pour le moment, j’écris un peu comme pour un scénario de film, mais après il faudra faire le découpage en cases et ça c’est vrai que ça m’angoisse un peu. Au début, je me disais : « les storyboards, j’ai l’habitude » mais ce n’est pas du tout pareil.
Pour le moment je suis en phase de scénario dans les deux projets. J’ai déjà discuté avec les deux dessinateurs. Il faut encore que j’affine, que j’acquière de l’expérience dans ce domaine, mais on va dire que les projets sont en bonne voie. Je pense que les deux vont se faire – touchons du bois !
Il ne te manque que le théâtre et les jeux vidéos, et t’auras fait le tour ! Ah oui, et la chanson !
[Rires] Oui, la chanson j’aimerais bien, j’ai toujours été fan des parodies, donc j’ai un petit projet de chanter des parodies que j’écrirais moi-même, mais ça c’est vraiment pour le fun. Je pensais appeler ça « Claus Copie », « Claus pour le début de mon nom » et « copie » pour faire le jeu de mot avec coloscopie. Comme ce seraient des parodies, tu vois, « Claus copie ». [Rires]
[Avis aux lecteurs : malgré notre insistance, Geoffrey n’a pas donné suite à notre proposition d’enregistrer une chanson pour l’interview!]
Pour terminer, je me demandais si tu avais un sablier magique comme Hermione Granger (Harry Potter) pour pouvoir remonter le temps et faire tout ce que fait.
[Rires] Non, mais j’ai une copine très compréhensive, ça c’est bien. C’est vrai que beaucoup de monde me pose la question. Simplement, je prends le temps d’écrire. Et j’ai la chance de prendre le train tous les jours, donc j’ai deux heures par jour.
Propos recueillis oralement le 24/03/17, mis à jour par mail début mai.
Fin de la cinquième partie.

vendredi 19 mai 2017

 [Interview par Scientas'Hic - Partie 4] Geoffrey Claustriaux: Au Coeur du Laboratoire Littéraire

(Article original sur le site de Scientas'Hic)


Geoffrey Claustriaux n’est pas un écrivain ordinaire: outre qu’il fait certaines couvertures de livre lui-même, il s’essaie constamment à de nouvelles expériences littéraires, comme la rédaction « collaborative » de son roman Pherstone. Une collaboration, qui peut aussi prendre la forme d’un parrainage, suite à un jury littéraire! [oui, on sait faire naître le suspense, sur Scientas’Hic!] Mais avant de plonger dans l’expérimental, quelques mots sur ses dernières sorties.
Peux-tu nous parler de Pentecôte, ton 3e roman publié ?
On suit une femme qui appartient à une brigade spéciale de gendarmerie qui existe vraiment en France, le Groupe Spéléogique de la Gendarmerie Nationale qui effectue des interventions en montagne et dans les grottes. Elle découvre un cadavre dans une grotte au fond de l’eau.
En parallèle, on suit un policier à Brest, qui enquête sur des disparitions de personnes. C’est du pur policier, sur une île. Je dis toujours que ça rappelle les séries de TF1 genre Dolmen ou les séries de l’été. C’est ce genre d’ambiance, pas très dark. Enfin, il se passe des trucs pas super sympas, mais ce n’est pas étouffant ou terrifiant.
Tu viens également de sortir un nouveau roman, Purgatoire ?
C’est un roman court, on va dire. Du fantastique. Le principe, c’est qu’on suit un criminel, un jeune homme qui a mal tourné. Il tue quelqu’un et, en s’enfuyant, il meurt à son tour. Il se retrouve au Purgatoire, face au Gardien qui lui dit : « je peux te ressusciter si tu me prouves ta valeur, que tu me prouves que tu peux t’améliorer ». A partir de là, il va lui faire subir une série d’épreuves destinées à purifier son âme. On en revient de nouveau au thème du personnage qui a mal tourné. Ça vient juste de sortir, mais les premiers échos sont extrêmement positifs, je suis assez content.
Tiens, après David dans Les Royaumes éphémères, un autre personnage dont le point de départ est la mort… un autre thème de prédilection, peut-être ? 
Ma foi, c’est vrai que l’on y peut voir une autre thématique qui m’interpelle. Comme beaucoup de monde, je me demande s’il y a quelque chose après la mort. J’imagine que ça me rassure d’imaginer une « suite » à la vie, même si c’est quelque chose de moche [rires].
On le verra plus tard avec le cinéma, mais tu touches à beaucoup de projets différents. Par exemple, il y a Pherstone, un projet qui à la base est un roman classique et dont tu fais finalement un projet collaboratif. Tu peux nous expliquer de quoi il s’agit?
Pherstone, c’est vraiment quelque chose que j’avais écrit pour moi, à la base. Je n’avais jamais pensé diffuser. D’ailleurs, je n’en avais même pas parlé à ma mère qui est ma principale relectrice, ni à ma copine de l’époque. Je l’ai écrit après une grosse période où j’avais enchaîné plusieurs romans. Une fois que Pentecôte est sorti, j’ai eu envie d’écrire un truc pour le fun, pour me faire plaisir. Je me suis lancé sans aucune préparation, avec juste le nom du personnage principal et le titre, et j’en ai fait une sorte de décalque d’Harry Potter. J’ai écrit ça en deux mois, il y a environ trois ans.
Récemment, j’ai découvert la plateforme Wattpad qui est un genre de Youtube littéraire où tout le monde peut poster des textes accessibles à tout le monde. J’ai exhumé ce truc-là en me disant pourquoi pas. Autant le diffuser gratuitement, puisqu’il était de toute façon impubliable. Je l’ai mis en ligne et je me suis dit que j’allais en faire un feuilleton, au rythme d’un chapitre par semaine. Les réactions des gens ont été assez étonnantes : ils aimaient bien, mais ils ne comprenaient pas pourquoi ça ressemblait autant à Harry Potter. Ils me disaient : « peut-être qu’en faisant comme ça… ». Du coup, je me suis dit : « pourquoi ne pas essayer d’en faire un roman participatif ? »
Le projet a évolué de lui-même, ça ne m’était jamais venu à l’esprit au moment où j’ai publié le 1er chapitre. Maintenant, je n’en suis qu’au 2e chapitre [note : au moment de l’interview, en mars. Au moment où cet article est mis en ligne 10 chapitres sont sortis]. Je publie un chapitre par semaine et je dis aux gens « critiquez, dites-moi ce qui est à changer, les coquilles, l’histoire, etc. » Pour le moment, les gens sont assez réactifs je trouve, c’est assez chouette.
Pherstone, à lire sur Wattpad.
Et donc tu vas réécrire l’histoire en fonction des réactions ?
Jusqu’à présent, je n’ai réécrit que des petites parties de chapitre mais effectivement, après la 1re version qui ressemblait très fort à Harry Potter, j’ai réécrit complètement le 1er chapitre, j’ai fusionné et complètement remodelés les 2 premiers. Après, j’espère qu’il n’y aura plus que des petites parties à modifier parce que si je dois complètement modifier la structure du roman ou si ça on m’emmène vraiment dans une autre histoire…
Les lecteurs peuvent par exemple s’étonner de la présence d’un élément qui te servira pour préparer la suite, ce qu’ils ne savent pas encore.
Oui c’est ça, il va falloir jongler. Je n’ai pas encore été confronté à un problème de cet ordre-là mais c’est vrai que moi je sais ce qui se passe après. Mais si on me dit de façon pertinente : « ça il faut que ça se passe comme ça », pourquoi pas ? On verra ! Comme je dis toujours, peut-être que le projet va se casser la gueule et qu’au bout de 10 chapitres, je ne vais pas y arriver.
[Mise à jour 03/05/17] Je suis arrivé aux 10 chapitres et certains éléments ont beaucoup changé. Les lecteurs sont réactifs et certains sont vraiment au taquet. C’est chouette ! Mais ça demande beaucoup d’énergie.
Tu vas également faire un autre projet participatif ! Tu as été jury dans un concours de nouvelles fantastiques, et tu vas parrainer un jeune auteur. 
C’est un concours qui est organisé par la Confédération Parascolaire, la Fédération Wallonie-Bruxelles, le Festival international du film fantastique de Bruxelles, les Éditions Bayard et la COCOF. Le but c’est de motiver à écrire des jeunes de 10 à 18 ans. Les cinq premiers gagnent un prix, mais avec le « meilleur » [note : Geoffrey précise bien « meilleur entre guillemets » »], on va écrire quelque chose à deux. On va écrire, je pense un genre de roman court, un peu comme Purgatoire. Mon idée c’est de faire 10 000 mots chacun, de le publier, puis qu’il vienne avec moi sur salons (littéraires) et essayer de lui mettre le pied à l’étrier.
Franchement j’ai été étonné du niveau qualitatif, c’était fou ! Les dix premiers, je ne vais pas dire qu’ils écrivent mieux que certains auteurs publiés que je côtoie, mais j’étais vraiment… woaw, épaté [note : Geoffrey répétera à plusieurs occasions son admiration pour le niveau affiché]. J’étais très honoré, donc on verra aussi ce que ça donnera d’écrire à 4 mains avec un jeune.
Est-ce que les nouvelles seront publiées ?
Je ne sais pas. En tout cas ce que je vais faire après le jury c’est essayer de contacter, ou en tout cas demander aux auteurs qui ont écrit les nouvelles de me contacter pour leur dire ce qu’il y a moyen d’améliorer. Selon moi toujours, parce que ce n’est pas parole d’Evangile non plus, je peux dire des conneries. Mais en tout cas essayer de les motiver, parce qu’il y avait vraiment beaucoup de qualité. Les autres, c’était très bien aussi, donc ce serait dommage que le fait qu’ils n’aient pas gagné les démotive.
Tu as aussi été jury pour le concours de nouvelles « Bruxelles je t’aime » !, dont le but était de mettre la ville en valeur, à travers différents arts. Est-ce que le fait de juger les autres te fait réfléchir à ta manière d’écrire et sur ton propre travail ?
Je trouve que c’est assez difficile de juger. Déjà, moi, je ne me sens pas légitime dans ce rôle. On me le demande, je dis ok parce que c’est un honneur, mais je ne me sens pas légitime, parce que je ne m’imagine pas déjà « arrivé », loin de là. C’est assez compliqué de juger le travail des autres, je marche beaucoup au coup de cœur je dois dire. Je me dis que si un texte me plaît, c’est qu’il y a quelque chose. Je ne me pose pas de questions… [il réfléchit] ça ne change pas ma manière d’écrire, parce que je me dis que si les lecteurs aiment ce que je fais, il n’y a pas de raison que je change.
Pour terminer sur la littérature, quels sont tes projets à venir ? 
En littérature pure, j’ai un roman d’horreur que je suis en train d’écrire, Nature’s Law (titre provisoire). J’en suis au début, les grandes lignes sont définies mais vu que je prévois un truc très gros, en deux tomes je pense, il va falloir du temps.
J’essaie de me limiter maintenant. J’avais plein d’autres projets : développer une suite à Pentecôte, notamment, mais pour le moment c’est en standby. Il y a aussi celui que je vais écrire avec le jeune gagnant du concours de nouvelles, mais j’essaie de me cadrer, parce que j’ai aussi des projets de BD et de courts métrages.
Tu es « multidisciplinaire », comme nous le verrons plus loin. Pour faire la transition, j’ai lu que tu étais graphiste et que tu faisais aussi certaines couvertures de tes romans. Lesquelles ?
En fait, j’ai fait des études de graphisme. Je fais surtout du photomontage. J’achète les images de base sur Shutterstock et après je fais la composition : j’ajoute des éléments, j’en retire, …etc. L’avantage de faire sa couverture soi-même, c’est que je ne dois pas expliquer à quelqu’un d’autre ce que je voudrais et donc je peux vraiment donner l’ambiance. Par exemple, pour Les Chroniques…, j’ai acheté l’image de base à un auteur, et j’ai rajouté le squelette, la végétation, etc.
J’apprécie beaucoup de jouer sur l’atmosphère dans mes couvertures, sur le symbolisme, plutôt que sur de l’illustration littérale. Par exemple, pour Pentecôte, je cherchais une « île tête-de-mort » pour représenter le fait qu’on ait trouvé un corps sur l’île de Karreg. Je voulais aussi que l’ambiance soit estivale. Et j’ai eu de la chance de trouver exactement ce que je voulais.
Tu contrôles tout du début à la fin, un peu comme un réalisateur de cinéma !
Ça reste une discussion avec l’éditeur, je ne choisis pas tout seul. [Note : il parle de la couverture des Chroniques de l’Après-Monde :] Au début, il m’avait proposé une autre image que je n’aimais pas trop. C’était un escalier délabré. L’ambiance était là, mais ça manquait d’ampleur. Je voulais plus une ville, donc j’ai fait des recherches de mon côté et je suis tombé sur cette image-là. Au début, j’avais même rajouté un missile mais ils m’ont dit que ça faisait de trop [rires]. Donc voilà, je dis que je l’ai fait moi-même, mais ça reste toujours en partenariat avec l’éditeur évidemment. Pour l’instant je ne suis pas chez des gros éditeurs, mais croisons les doigts, si un jour je suis édité chez Bragelonne ou un autre grand, je n’aurai peut-être plus le choix.
Propos recueillis oralement le 24/03/17, mis à jour par mail début mai.

Fin de la quatrième partie.